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La Russie entre peurs et défis

Publié le par Dimitry Queloz

RADVANYI, Jean, LARUELLE, Marlène, La Russie entre peurs et défis, Paris, Armand Colin, 2016, 240 pages

 

Depuis la fin de l’Union soviétique, la Russie a connu de profonds changements. Comme le soulignent les auteurs dans leur conclusion, "les frontières, le régime politique, l’économie, la vision du monde, les valeurs culturelles ont été transformés brutalement". Ces transformations sont présentées et analysées de manière synthétique dans sept chapitres courts mais denses qui mettent en lumière les forces, mais surtout les faiblesses et les défis d’une Russie qui cherche, depuis l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine, à retrouver son rang de puissance mondiale.

 

L’ouvrage n’est pas seulement historique. Il intègre en effet les événements jusqu’en 2015, comme la crise ukrainienne et l’annexion de la Crimée, les sanctions occidentales qui ont suivi et la crise économique de cette année-là, très largement due à la baisse des prix du pétrole. Dans une actualité riche en rebondissements, on ne peut que regretter que les auteurs ne puissent nous livrer leurs analyses à propos de ses derniers développements, notamment en ce qui concerne l’intervention militaire en Syrie.

 

Le premier chapitre est consacré au territoire de la Russie. Celle-ci rencontre de grandes difficultés à en assurer la maîtrise en raison de sa colossale superficie. Le problème numéro un est démographique. La Russie a perdu plus de 6 millions d’habitants entre 1992 et 2009, tandis que la fécondité baissait de manière drastique. Si la situation s’améliore depuis 2010, le phénomène de baisse démographique constitue une tendance à moyen-long terme. De plus, certaines régions, déjà relativement moins peuplées, sont davantage touchées, comme la Sibérie et l’extrême orient, au point que l’on peut parler de désertification.

 

A propos du territoire, les auteurs soulignent encore que les frontières russes n’ont guère connu de stabilité au cours des siècles et que le pays est, traditionnellement et par essence, un pays impérialiste. Cette vision est encore largement cultivée chez certaines élites, d’autant que beaucoup regrettent les pertes territoriales des années 1990, ainsi que la fin de l’influence sur le glacis protecteur en Europe centrale. On comprend mieux la remise en cause, à deux reprises au cours de ces dernières années, de l’intangibilité des frontières garantie aux Etats de l’ex-URSS!

 

L’identité fait l’objet du deuxième chapitre. Tout comme l’URSS, la Russie est un Etat multiethnique, multiculturel et multireligieux. Sous le régime soviétique, ces aspects étaient cependant largement mis de côté en raison de l’universalisme de l’idéologie communiste et de son rejet de la religion. Après 1991, un débat identitaire est né qui oppose, d’une part, les partisans d’une nation basée sur une conception civique qui regroupe les "Russiens" et, d’autre part, les adeptes d’une conception ethnico-culturelle pour qui la nation s’articule autour du peuple russe. Cette deuxième conception a le vent en poupe depuis quelques années, comme le montrent l’importance accordée à l’Eglise orthodoxe, les discours nationalistes soulignant la dérussification du pays, le développement de la xénophobie...

 

Ce problème identitaire, qui fragilise la cohésion de la société russe, est aggravé par la fragmentation sociale, analysée dans le troisième chapitre. Les inégalités sociales sont nombreuses et vont en s’accentuant. Aux deux extrémités de la société se sont développées, d’une part, une minorité d’ultra-riches et, d’autre part, une population très pauvre. Entre les deux, une classe moyenne, représentant 25 à 40% de la population, peine à émerger. Ces inégalités sont renforcées par les disparités régionales. Moscou et sa région, qui représente 25% du PIB russe, ainsi que Saint-Pétersbourg, se détachent de plus en plus des autres régions, consommant la double fracture villes – campagnes et régions centrales – régions périphériques.

 

Le régime politique est analysé dans le chapitre 4, dont les grands déterminants sont mis en exergue par les auteurs: échec des réformes politiques et économiques de Boris Eltsine, velléités d’autonomie des régions et coup de force du parlement de 1993-1994, crises économiques, guerres de Tchétchénie, nostalgie d’un passé de puissance, poids de l’histoire… A partir de 2000, Poutine a réussi un véritable tour de force en restaurant une autorité politique largement soutenue par la population. S’il jouit, au lendemain de l’annexion de la Crimée, d’une popularité qui fait sans doute envie à plus d’un dirigeant occidental, son pouvoir reste fragile. Pour les auteurs, l’idéologie nationaliste et l’image personnelle de Poutine ne suffiront pas à maintenir cette popularité dans le long terme si les difficultés économiques persistent.

 

Après un cinquième chapitre sur l’économie – on retiendra les nombreuses particularités de l’économie russe: redressement au cours des années 2000 en raison du contrôle de certains secteurs stratégiques par l’Etat; importance du rôle joué par les matières premières et notamment les hydrocarbures; gestion mêlant libéralisme, contrôle étatique et corruption; nécessité de diversification; faiblesse de la productivité, blocages structurels, disparités régionales –, les auteurs consacrent les deux derniers chapitres aux questions géopolitiques et diplomatiques. Après une série d’échecs (CEI, stratégie de l’étranger proche, partenariat avec l’Europe), la Russie explore de nouvelles voies pour restaurer sa puissance, dans le cadre d’une politique offensive et volontariste. Le rapprochement économique et politique avec la Chine en est un bon exemple, mais il s’inscrit aussi dans une tradition séculaire de politique orientale. Toutefois, la Russie est consciente de la différence de puissance entre les deux partenaires. D’où la volonté de développer d’autres partenariats, avec l’Organisation de Coopération de Shanghai ou les BRICS. Le caractère intégral et novateur de cette politique est à souligné, avec l’emploi notamment d’un soft power utilisant les nouveaux médias et la diaspora russe.

(© blogdéfense)

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