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Un silence religieux

Publié le par Dimitry Queloz

BIRNBAUM, Jean, Un silence religieux. La gauche face au djihadisme, Paris, Seuil, 2016, 240 pages

 

Comme l’écrivait récemment Olivier Kempf à propos d’une biographie historique de Jésus, la "religion est communément comprise comme un facteur géopolitique". Surtout depuis quelques années avec la montée en puissance de l’islamisme. Pourtant, au lendemain des différents attentats qui ont ensanglanté la France et d’autres pays d’Europe, beaucoup parmi les élites de gauche ont développé un discours pour le moins surprenant: "Ces attentats n’ont rien à voir avec l’islam".

 

Jean Birnbaum s’interroge sur cette attitude, ce discours qui a rapidement imposé un véritable "interdit" dans la réflexion sur le phénomène djihadiste et sa compréhension. Comment peut-on rejeter tout lien entre les attentats et l’islam, alors que les différents terroristes n’ont cessé de proclamer qu’ils agissaient au nom de l’islam? Une première réponse, simple, est d’ordre politique. Les élites de gauche, au pouvoir ou non, veulent éviter les problèmes avec les communautés musulmanes installées en Occident. D’où le fameux "pas d’amalgame".

 

L’auteur va cependant plus loin dans la réflexion en s’intéressant à la place de la religion dans la pensée de gauche. Il montre que celle-ci met systématiquement de côté les phénomènes religieux. Dans le cas des attentats islamistes, les explications se sont en effet concentrées, selon la tradition marxiste, sur les questions sociales et économiques, mais, aussi, sur les aspects psychiatriques. Alors que nombre d’entre eux étaient issus de familles aisées ou de la classe moyenne et beaucoup parmi eux avaient fait des études, les terroristes étaient toujours présentés soit comme des gens de banlieue victimes de la non-intégration, des déshérités au parcours scolaire chaotique, soit comme des personnes ayant des problèmes mentaux. Cette interprétation a d’ailleurs conduit le gouvernement à mener une politique de déradicalisation qui a été un véritable échec.

 

Ce phénomène d’incompréhension et de négation du religieux est récurrent dans le discours de la gauche. Pour l’auteur, ce n’est en effet pas la première fois que les élites de ce bord politique séparent complètement les événements de leurs liens avec la religion. Ainsi de la guerre d’Algérie durant laquelle elles ont, à de rares exceptions près comme l’historien Pierre Vidal-Naquet, été incapables de saisir l’importance de l’islam dans le nationalisme algérien, en dépit des nombreux indices visibles, ou de la révolution iranienne de 1979, pour laquelle Michel Foucauld a été une exception.

 

Cette incapacité de la gauche à saisir la réalité du phénomène djihadiste et à le comprendre a, selon Birnbaum, diverses origines. D’une part, les élites de gauche se montrent bienveillantes pour le djihadisme car elles le mettent en parallèle avec ce que l’on peut appeler les "engagements brigadistes" durant la guerre d’Espagne ou les révolutions en Amérique du Sud. Tout comme le militant d’extrême gauche partait naguère combattre le fascisme, le djihadiste actuel va lutter contre l’impérialisme capitaliste! D’autre part, les élites de gauche sont également les héritières des Lumières. Ces dernières ont rejeté Dieu en dehors du Monde et opposé "la croyance zélée au savoir rationnel". Il n’y a donc pas de place pour une religion sincère et profonde dans la vie d’un homme instruit!

 

Toutefois, pour l’auteur, la cause principale de cette incompréhension provient de l’idéologie marxiste, qui entretient un rapport ambigu avec la religion. Selon la fameuse expression, cette dernière est l’"opium du peuple". Dieu n’existant pas, la religion ne serait qu’une drogue aidant les opprimés "à supporter l’exploitation dont ils sont victimes. Que le mal soit guéri, et le remède devient inutile. Que les travailleurs se libèrent de la domination bourgeoise, et ils n’auront plus besoin de se réfugier dans les nuées de la spiritualité".

 

Cependant, la position de Marx par rapport à la religion est plus complexe et elle comprend un second aspect. La religion est en effet aussi une "protestation" contre la détresse humaine. Elle n’est donc pas toujours une idéologie au service des pouvoirs en place, elle est aussi capable de jouer un rôle révolutionnaire – Engels, par exemple, a comparé le christianisme primitif avec le socialisme. En ce sens, elle peut donc être une alliée de la gauche et de ses idéaux révolutionnaires. L’ouvrage du théoricien britannique Chris Harman, Le Prophète et le Prolétariat (1994) est à cet égard emblématique puisqu’il préconise de s’allier avec les islamistes pour lutter contre celle qui reste l’ennemie principale, la société bourgeoise et capitaliste. Bien sûr, Harman reconnaît qu’il y a un risque dans cette attitude, celui de se faire battre au final par cet allié de circonstance avec lequel on ne partage idéologiquement pas grand-chose et dont les buts à long terme sont radicalement différents. Cependant, convaincu que la gauche incarne le sens de l’histoire et qu’elle détient le seul réel universalisme, Harman se montre plutôt serein face à ce danger potentiel. Pour lui, la religion n’ayant aucun fondement sérieux, les islamistes ouvriront tôt ou tard les yeux, perdront leur prétendue foi et se rangeront aux côtés des forces de gauche si elles savent prendre quelques précautions pour éviter d’être débordées.

 

Terminons cette brève présentation d’un ouvrage très intéressant qui permet de mieux comprendre les ressorts qui ont conduit au développement de l’islamo-gauchisme en soulignant un de ses points forts, dont certains feraient bien de retenir la leçon. Les nombreux exemples d’alliance entre gauche et islamisme montrent que Harman s’est bel et bien trompé. Les islamistes ont généralement réussi à écarter leurs alliés d’un moment et à les supplanter. On ne soupe pas impunément avec le Diable, même si on pense avoir une très longue cuillère!

(© blogdéfense)

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