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Interview du chef du Service de renseignement militaire suisse (1)

Publié le par Dimitry Queloz

Le vendredi 30 août dernier, le Brigadier (général de brigade) Jean-Philippe Gaudin, chef du Service de renseignement militaire de l’armée suisse, était l’hôte de la Société jurassienne des officiers dans le cadre d’une conférence intitulée L’état de la menace et l’obligation de servir dans les autres pays – cette conférence fera l’objet d’un prochain article.

Le Brigadier Gaudin nous a reçu quelques jours plus tôt dans son bureau de Berne pour une interview exclusive. Nous tenons à lui exprimer encore toute notre gratitude pour son aimable accueil et le temps qu’il nous a consacré pour répondre à nos questions.

 

Mon Brigadier, pouvez-vous nous décrire brièvement votre parcours professionnel et votre carrière militaire?

Après des études commerciales, j’ai travaillé durant trois ans à l’office du tourisme de Montreux et, dans ce cadre, j’ai été le régisseur de nombreuses manifestations culturelles, notamment le Festival de Jazz. Parallèlement, je menais ma carrière d’officier de milice. C’est en 1987 que j’ai décidé de devenir militaire professionnel. J’ai donc suivi les cours de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich et j’ai ensuite passé sept ans comme officier instructeur dans les écoles de recrues de Schwytz et de Drognens. J’ai alors été affecté à l’école d’officiers des Troupes légères et mécanisées à Thoune. Après quelques mois de collaboration dans le groupe de travail Armée XXI, en 2000, j’ai été nommé à la tête de l’unité suisse engagée en Bosnie-Herzégovine. Une fois revenu en Suisse, j’ai occupé diverses fonctions dans la formation supérieure des cadres de l’armée à Lucerne, avant de suivre, en 2003, les cours du Collège de défense de l’OTAN à Rome. A mon retour en Suisse, j’ai commencé à travailler au Service de renseignement militaire que je dirige depuis 2008.

Quelle est l’organisation des services de renseignement en Suisse? Quelles sont plus particulièrement la place, l’organisation et les missions du Service de renseignement militaire que vous dirigez?

En Suisse, il y a deux services de renseignement au niveau fédéral. Le premier est le Service de Renseignement de la Confédération (SRC). Il est issu de la fusion, effectuée en 2010, des anciens Service de Renseignement Stratégique (SRC) et Service d’Analyse et de Prévention (SAP). Dirigé par Markus Seiler, le SRC s’occupe du renseignement stratégique et politique. Il est directement subordonné au chef du Département de la Défense, de la Protection de la Population et des Sports (DDPS) mais travaille également pour les autres "ministères" de la Confédération. Il s’occupe plus particulièrement du renseignement lié au terrorisme, à la criminalité organisée, aux menaces "cyber", au contre-espionnage…

Le second service est le Service de renseignement militaire, qui est plus petit, et dont je suis le chef. Ce service dépend du chef de l’armée qui en est le responsable et qui détermine les missions de base. Organiquement, il appartient à l’Etat-major de conduite de l’armée. Juridiquement, le service est régi par l’article 99 de la loi militaire et par l’ordonnance sur le renseignement de l'armée. Il existe également des organes de contrôle pour surveiller nos activités. Le plus haut de ces organes est la Commission de gestion du Parlement. A titre personnel, je trouve que ce contrôle est très important et même très positif. Le chef du service est ainsi encadré et protégé dans ses activités.

Quant aux missions, le Service de renseignement militaire en a trois: la recherche du renseignement opérationnel en vue de protéger les troupes engagées en Suisse ou à l’étranger; le suivi des forces armées étrangères (évolution des doctrines et des armements) dans le but de préparer l’armée suisse pour le futur; enfin, l’analyse des derniers conflits afin d’en tirer des enseignements pour notre armée.

A l’heure actuelle, peut-on encore faire une différence nette entre renseignement "civil"/"politique" et renseignement "militaire"? Dans ce cadre, quelles sont vos relations avec le Service de Renseignement de la Confédération?

Tout d’abord, je peux vous dire que les relations entre les deux services sont actuellement très bonnes. Cela n’a cependant pas toujours été le cas par le passé, car les coopérations entre administrations différentes sont parfois difficiles. Actuellement, plusieurs éléments facilitent nos relations, notamment le manque de ressources qui nous oblige à coopérer davantage. De plus, comme vous le dites, il y a le fait que la distinction entre renseignement "politique"/"stratégique" et renseignement d'intérêt militaire n’est pas toujours très nette. Il existe une zone d’intersection entre les intérêts respectifs des deux services de renseignement. Cela est particulièrement vrai dans le cas d’engagements de personnels militaires à l’étranger, comme en Libye actuellement, ou dans le domaine "cyber".

Plusieurs pays européens, notamment la France, ont participé ces dernières années à des opérations extérieures d’envergure, comme en Afghanistan, en Libye et au Mali. Quels enseignements militaires un pays comme la Suisse peut-il tirer de ces opérations?

Les enseignements que nous pouvons tirer de ces opérations sont nombreux. Tout d’abord, il y a l’importance déterminante du renseignement qui représente un élément-clef du concept que les Français ont appelé "connaissance et anticipation" dans leur Livre blanc de 2010. Cette fonction, qui concerne les échelons stratégique, opératif et tactique, doit permettre l’engagement des moyens à bon escient, au bon moment et au bon endroit. Cela est devenu absolument fondamental en raison de la diminution des crédits et, par conséquent, des moyens à disposition des armées.

Le deuxième enseignement à retenir concerne les forces spéciales. De nos jours, celles-ci sont indispensables et elles constituent le fer de lance des armées. Les forces spéciales ne peuvent cependant agir que si l’on dispose d’un renseignement de qualité, à la collecte duquel elles participent par ailleurs. Il y a donc une véritable synergie entre le renseignement et les forces spéciales. Notons toutefois que ces dernières ne constituent pas l’alpha et l’oméga des forces armées. Les forces spéciales ont besoin des forces conventionnelles et ne sauraient les remplacer. En effet, les forces conventionnelles sont seules capables de tenir le terrain. Il y a une complémentarité entre les deux.

Une autre leçon à retenir est la nécessité de disposer de moyens de combat lourds qui restent indispensables pour lutter contre tout adversaire, qu’il soit régulier ou irrégulier. Par exemple, la France au Mali a déployé des véhicules blindés et de l’artillerie. Même si ces moyens ne sont plus engagés en masse, une armée doit en disposer en quantité suffisante et en adapter la doctrine d’emploi.

Enfin, mentionnons encore de manière plus brève le fait que les combats futurs se dérouleront en zone urbaine, que la guerre de l’information et la maîtrise de la communication avec les média font désormais aussi partie intégrante des opérations militaires et que les moyens de transmissions des forces armées doivent être rapides et sécurisés car les actions sont à la fois rapides et permanentes. (A suivre)

 

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Le Brigadier Jean-Philippe Gaudin lors de la conférence du 30 août 2013 organisée par la Société jurassienne des officiers (© SJO)

Le Brigadier Jean-Philippe Gaudin lors de la conférence du 30 août 2013 organisée par la Société jurassienne des officiers (© SJO)

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